Randonner avec les petits… Ça change la vie !

pour L’Express Styles, Mme Marie-Amal Bizalion 

«Bonjour, écrivant un article pour la fédé française de rando, j’aimerais
vous poser quelques questions concernant les longues randos que vous faites
en famille. »

C’est en ces termes que Mme Marie-Amal Bizalion m’écrit, il y a de cela quelques mois déjà.
Quelques échanges plus tard, l’article est paru et je voudrais (avec son accord) vous le partager. 

 

Dès qu’ils tiennent sur leurs jambes, certains enfants attaquent déjà les sommets, sac à dos et chaussures montantes aux pieds. Mais pour en faire de futurs adeptes de la marche, mieux vaut respecter quelques règles tenant plus de la logique que du diktat. Afin que ces moments privilégiés d’écoute et de partage ne se transforment pas en pensum collectif.

Comment leur donner goût à la randonnée ? C’est la question que se posent nombre de parents ou grands-parents. Certains n’attendent pas que leurs enfants tiennent debout pour les initier aux joies du bivouac. Si d’autres, plus prudents, se contentent de sorties pépères, la majorité des randonneurs tente d’entraîner leur descendance sur les chemins de traverse, avec plus ou moins de bonheur. Enquête sur les raisons d’échecs cuisants et de succès certains. 

Tracer à tout prix

Du haut de sa petite taille, l’enfant ne voit pas les mêmes choses qu’un adulte. Il n’a pas la même notion du temps, du danger, de la distance. Ni, malgré son énergie débordante, la résistance d’un homme aux mollets aguerris. Faute de reconnaître l’évidence, certains ont fait une croix sur les sorties familiales, se privant eux-mêmes d’une extraordinaire approche du monde. C’est la cas de Philippe, fou de montagne. 

Philippe sillonne les replis des Alpes et des calanques depuis l’adolescence, a fait le tour de la Vanoise et de l’Oisans en peaux de phoque, grimpe à l’assaut de cols en solitaire et entraîne chaque été une bande de copains plus ou moins novices dans des dénivelés hallucinants. Rien au monde ne s’arrêterait. Pourtant, après trois tentatives avec Léo et Lison, 12 et 9 ans, sa femme Emmanuelle, initiée sur le tard aux joies de la randonnée, a jeté l’éponge :  « On a bien essayé de les forcer à nous suivre, mais ils ont des pieds de plomb. Ça viendra peut-être un jour… »

Forcé. Le mot est lâché. Gageons qu’avec une telle approche, « ça » ne reviendra plus, cette envie de suivre les adultes. À la question : « Avez-vous tenté d’adapter vos sorties à leur niveau ? »  La réponse d’Emmanuelle est nette. « Non. Philippe trace en montée, et moi je les tire et pousse pour gagner dix mètres. Nous préférons partir seuls, ou faire de courtes balades avec leurs copains. » C’est peut-être le plus sage moyen de ne pas tomber dans le cas extrême de Sophie, dont voici l’histoire : un jour de trop, son mari caracole en tête, la laissant porter Tom, 4 ans, épuisé. « S’il ne se retourne pas au moins une fois vers moi avant l’arrivée, je demande le divorce. » Il ne s’est pas retourné, elle a divorcé. 

Heureusement, la plupart des adultes mettent vite en sourdine leurs exigences en terme de durée et de difficulté, et découvrent le plaisir de randonner autrement. 

Les petits ont leur mot à dire

Jusque-là, Arnaud tirait fierté de l’endurance de sa progéniture (4, 5 et 7 ans). Mais après une sortie où l’orage s’est abattu sur les montagnes du Beaufortain, les fillettes, traumatisées par la nuit tombant et une cavalcade forcenée vers un chalet d’alpage désert, refusaient de reprendre le bâton de pèlerin. Un jour, sa compagne leur a proposé de décrire la balade idéale, prenant note de leurs exigences – finalement bien modestes et très révélatrices.

Agathe rêvait d’un pique-nique avec ses mets préférés, Louise exigeait d’être un peu portée sur les épaules de papa, Marion voulait bien regoûter le lait de la vache du monsieur au fond de la vallée et ramper pour approcher les marmottes. En bref, elles revivaient la dernière rando sans l’orage… Météo prise et désirs respectés à la lettre, une sortie courte les a réconciliées avec la randonnée. Jusqu’à l’adolescence, où là encore tout pourra se corser.

Célia, fille aînée de Téo et Valentine Gautier, architectes, a passé ses vacances en haute montagne dans un chalet de fortune et crapahuté chaque dimanche avec ses frères. À treize ans, elle a refusé tout net d’avancer. « À l’échelle de l’enfant, une rando est toujours trop longue, difficile, rébarbative. Quand j’ai pu choisir, j’ai préféré rester seule à la maison. » 

Trois ans après, son frère Arthur a abdiqué à son tour. Pourtant, Téo et Valentine ont montré un sacré bon sens : pendant les séjours en alpage, les enfants ne marchaient qu’un jour sur deux, l’autre étant consacré à la construction de moulins à eau ou à la baignade ; ils partaient toujours en bande, intégraient un temps pour contempler le paysage, chercher des fossiles, attraper des grenouilles, grappiller pommes ou châtaignes, questionner les bergers croisés, déguster les produits locaux. 

Aux moments de découragement, les plus petits grimpaient dans les sacs à dos, et Téo contait aux autres une aventure de Bergeronnette, leur héroïne à qui arrivaient d’abominables histoires liées au lieu. Tel le joueur de flûte, il entraînait les enfants fascinés. Avec à la clé, au bar du village, la promesse d’une célèbre boisson gazeuse interdite en semaine… 

Les chiens ne font pas des chats

Valentine, fataliste,  a accepté le rejet de ses aînés : à cet âge critique, les enfants découvrent en même temps le stress de la pression scolaire et les premières poussées d’hormones. Certains prennent du poids, et se meuvent alors plus difficilement. Les parents leur font soudain horreur, il passent par une phase d’opposition. 

Mais voilà que Célia, aujourd’hui 21 ans, se souvient avec émerveillement de ce temps-là. Récemment repartie à l’assaut des sommets, elle a suivi dans le Champsaur, riant et soufflant, des Gapençais très entraînés, a ragé d’être mêlée à une horde de touristes à Saint-Véran et a découvert, effarée, que « certains sentiers balisés ressemblent à des autoroutes pour piétons ». Elle a voulu joindre un groupe de marcheurs dans sa faculté d’Aix-en-Provence, mais il affiche complet. De toutes façons,  elle avoue ne pas aimer ce sport pour le sport : « Marcher sans regarder la nature n’est pas dans ma logique. Idéalement, j’aimerais randonner comme mes parents. » 

Et voilà, la boucle est presque bouclée. Reste à trouver des amoureux de nature, ce qui relève du challenge :  « Je pousse mes amies de fac à prendre l’air, mais leur seul ‘fun’ est de lézarder au soleil. Tout est dans l’éducation. Les seuls marcheurs de mon âge sont ceux qui y ont goûté depuis l’enfance, les autres en bavent trop. » 

Forts de cette affirmation, on ne peut qu’espérer de la descendance d’Elvio, enseignant en pédagogie curative, et de Charlotte Fisler. Ces parents de six enfants ont réussi en 2003 un exploit majeur : emprunter la Via Alpina d’Ulrichen à Poschiavo – la longueur de la Suisse – avec Nora, 5ans, Zénia, 6 ans, Hugo, 8 ans, Lisa, 11 ans, Ivo, 13 ans, et Toni, 14 ans (lire encadré). 

L’incroyable épopée des Fisler

En 17 étapes et 86 heures de marche, Charlotte et Elvio, pas plus marcheurs que ça, n’ont rencontré aucune difficulté. Mais comment prépare-t-on une telle équipée avec des tout-petits? En s’entraînant un peu dans les Préalpes ou dans le Jura. En montrant aux enfants des photos, des cartes. « Mais au final ils aiment se laisser faire. C’est notre job de parents de tout organiser. »

Côté logistique, le choix est vite fait : les plus petits ne portent rien, les grands… tout. Dès lors, pour éviter de trimballer gamelles et tentes, les parents choisissent la demi-pension. Un vrai budget mais avec un tel harem, « impossible de partir au petit bonheur, de ne pas TOUT réserver », explique Elvio. Quant à motiver des enfants aux âges si différents, « pas toujours facile. Mais une fois sur les sentiers, la magie des lieux opère. Et les chants, les gags qui fusent, les arrivées dans les cabanes –un vrai grand moment : Il y a le « ouf » collectif, puis les plus petits jouent entre eux pendant que les grands lisent ou rêvassent. Comment les autres marcheurs les perçoivent-ils ? « Comme des fous. ‘Qu’avez-nous à trimballer ainsi ces pauvres gosses ?’ Nous a-t-on dit en Corse. Mais la plupart du temps, les gens ont beaucoup d’admiration pour nos petits. » Nous aussi, chère famille Fisler.

Marie-Amal Bizalion

Encadré 1

Ce qu’en pensent les six enfants Fisler 

Nora, 10 ans: « J’en ai un peu marre de marcher. Chaque fois il y a un truc qui m’ énerve. J’ai bien aimé traverser la rivière en Islande avec la mousse verte fluo sous les pieds nus… « 

Zénia, 11 ans: « J’aime bien me lever à 3h du matin, pas à 7 h. Je trouve drôle c’est d’avoir du beau temps pendant nos marches alors qu’il a fait « moche » chez nous. Parfois j’aime bien marcher, parfois je n’ai pas envie. »

Hugo, 12 1/2 ans: « J’aime bien quand ce n’est pas trop long. C’est embêtant quand on est malade [au Maroc, au pied du M’Goun]. Je préfère descendre et sauter de rochers en rochers. »

Lisa, 15 1/2 ans: « Ce n’est pas mon hobby préféré mais j’aime marcher avec un but,  monter en raquettes la nuit et dormir au chalet du Régiment, au-dessus du Jaun-Bellegarde, par 

exemple. Côté grandes randos, il faut s’habituer, ensuite on s’installe dans la routine. Les sacs, c’est un peu difficile. « 

Ivo, 18 ans: « Les randonnées permettent de découvrir de nouveaux horizons, d’autres cultures, de s’épanouir devant la beauté de la nature. Par contre, arrivé à un certain âge, marcher en famille devient un peu… un peu… Maintenant, je préférerais faire route seul ou entre amis, mais plus trop avec les parents et les frangins dans les pattes. »

Toni, 20 ans

« Sur le moment, l’idée de marcher n’est vraiment pas engageante. Par la suite, on se souvient du magnifique paysage plutôt que des pénibles 7-8 heures de marche par jour, sans pauses et sans dîner, avec une maigre gourde d’eau « salubrisée »… Et finalement, on découvre les vraies facettes d’un pays en discutant avec des gens authentiques. Le seul problème reste la marche ! Si l’on pouvait découvrir une civilisation sans bouger… »

Encadré 2

Conseils pour les motiver 

Prenez en compte leurs envies gourmandes de pique-nique.

Préparez ensemble les sacs, en leur confiant boussole, lampe frontale, canif, ficelle, jumelles, toutes ces menues choses qui les transforment en aventuriers)

Ne mentez jamais sur la difficulté, la durée de la randonnée – et n’abusez pas de leurs forces ! 

Promettez – et assurez – un chocolat chaud ou autre délice à l’arrivée.

Rêvez ensemble autour d’images de faune et flore que vous risquez de rencontrer.

Donnez un sens à la balade (rencontre de chamois, quête d’edelweiss, baignade…)

Emmener un de leurs amis.

Pendant la rando :

Prenez le temps d’approcher la faune en silence (marmottes, mouflons, aigles…)

Ne répétez pas toutes les 5 minutes : « Regardez comme c’est beau ! », ils le voient tout seuls s’ils sont déjà sensibilisés.

Déchiffrez avec eux la carte ou une table d’orientation.

Faites des pauses en-cas au moindre signe de fatigue

Quelques trucs pour les relancer

Cherchez avec eux des pierres striées formant par exemple les lettres d’un alphabet (un jeu à poursuivre toute sa vie !).

Jouez au premier qui trouve 10 merveilles sur une distance donnée pour les faire avancer – feuilles colorées, bâtons tordus et insectes morts feront l’affaire).

Commencez (ou continuez) un herbier en racontant des histoires sur le plantes guérisseuses, toxiques…

Édifiez avec eux des petits cairns avec trois cailloux aux endroits les plus ardus, à laisser comme message d’espoir aux autres enfants marcheurs.

Détendez-vous devant les ruisseaux, lacs, rivières en les laissant patauger (sous surveillance).

Encadré 3

Lire

Randonner avec des enfants, à la montagne et à la campagne, par Nathalie Magrou, Rando-Éditions, juin 2007, 12.50 €

Randonner avec ses mômes, ce n’est pas si compliqué. Un guide truffé de conseils pratiques, du contenu du sac aux jeux pour maintenir leur attentionen passant par les suggestions pique-nique et bivouac.

Randonner en famille avec un âne, Nathalie Cuche et Éric Béallet, Collection Les guides Libris, 2006, 15 €.

Les auteurs, monitrice de ski et  pisteur secouriste diplômés de philosophie, fournissent les clés pour cohabiter avec un  âne, et décrivent 7 itinéraires à pratiquer en toute sécurité (Haut-Jura, Mont-Blanc, oisans, Queyras, Chemin de Stevenson, Ariège, Corse).

[…]

Un chemin, une école, en voilà une belle idée !

En 2002, la FFRP a initié le projet pédagogique Un chemin, une école, aventure dans laquelle se sont jetés dès 2003 Daniel Lejan, instituteur à la retraite et son ami Pierre Transon, maître de CE2 à CM2 à l’école Bou-Cha-Ra de Ravigny, en Mayenne. Les écoliers ont réhabilité un chemin qui tombait dans l’oubli entre leur commune et Sainte-Anne-de-Champfrémont, l’ont balisé de panneaux sur la faune, la flore, la géologie, l’histoire… pour finir invités au Sénat, afin de participer au colloque national sur le développement durable ! Autant dire qu’entre notions de civisme, d’écologie de terrain ou de sciences naturelles, ils ont fait plus que leur part du programme scolaire. Souhaitons que cette initiative intelligente trouve un écho toujours plus grand auprès des enseignants, mais aussi des partenaires privés et institutionnels qui ont tout à gagner dans ce joli challenge. Infos sur le site FFRP.

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